Quatrième jour du voyage. Encore une étape très longue. Fin de journée sur la dernière descente Julong avance péniblement, il s’arrête tous les quelques mètres, il est saturé, il n’en peut plus. Je dois le faire avancer, l’encourager, le persuader encore et encore. C’est plus qu’évident qu’il a besoin d’une pause, qu’il a tout donné pour la journée.
Enfin nous les débâtons. Et les yaks peuvent se reposer. Après avoir installé le camp je repasse voir les yaks. Julong me fait violemment signe des cornes de ne pas m’approcher, de le laisser tranquille. Comme je reste à les observer, il fait même semblant de m’attaquer sur quelques pas. Je ne bouge pas. J’ai confiance qu’il ne me ferait jamais du mal. Mais son geste me bouleverse quand-même. Il doit avoir atteint ses limites pour me parler aussi franchement. C’est la première fois qu’il mime une attaque pour m’indiquer de le laisser tranquille.
Deux semaines après la rentrée du voyage. Je fais visiter le troupeau de yaks à des amis. « Voici Julong. Magnifique yak de travail, mais il ne faut pas le toucher. Il n’aime pas les caresses… » En parlant j’ai posé ma main sur sa croupe en expectant qu’il me fasse signe des cornes de le laisser tranquille pour confirmer mes mots. Mais Julong ne bouge pas. Surprise je le dévisage. Julong a tourné la tête vers moi et me regarde avec des yeux doux, détendus. Je continue à le caresser. Il ne bouge toujours pas. Julong ! C’est un vrai cadeau de pouvoir passer un moment aussi doux avec toi !
Est-ce qu’il est en paix parce qu’il se sent enfin compris ? Parce que j’ai vu son problème avec ses jambes, j’ai compris ses douleurs ? Parce que nous lui avons accordé une pause, nous l’avons soigné, ramené ?
Cela me touche profondément de le voir ainsi en paix avec lui-même et avec moi. Ouvert. Calme. Cet animal qui aime travailler, qui aime marcher, mais qui est souvent tellement brusque dans son comportement. Brusque à être dangereux avec ses cornes. Depuis des années déjà je me posais la question s’il n’avait pas des douleurs qu’il exprimait avec ses mouvements busques. Mais qui m’aurait cru ?
Est-ce qu’on le comprend enfin ?
Nous jugeons tellement vite. « Cet animal est méchant parce qu’il est brusque, parce qu’il semble agressif. » Savons-nous pourquoi ? Est-ce que nous prenons la peine de comprendre ? De déchiffrer le message ?
Les mouvements des cornes, les attaques mimés – c’est le langage des yaks, c’est leur façon de parler, de s’exprimer. Ce n’est pas de la « méchanceté » !
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