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  • Photo du rédacteurRosula Blanc

Le chemin du berger

Dernière mise à jour : 16 mai 2020

Qui est cette femme qui peut guider une caravane ? Qui est-elle pour que les yaks la suivent ? Comment devenir cette personne calme, présente, éveillée qui sait lire la montagne, pleine de confiance, de sagesse, de force et de douceur que les yaks veulent bien suivre ? Ce sont des questions que je me pose depuis des années, depuis que les yaks sont arrivés ici à la Giette en 2008 et que j’ai commencé à voyager avec eux. Ce sont des animaux magnifiques, intelligents, sensibles et depuis ce moment mémorable, quelque part dans le Queyras, où j’ai compris que l’expérience du voyage ensemble et notre cohabitation quotidienne n’avait pas fait des yaks des exécuteurs d’ordre de plus en plus docile, mais leur avait donné l’opportunité de grandir et de devenir des partenaires de travail, je suis fascinée par ce dialogue avec mes yaks. Être bergère-caravanière de yaks est un chemin de vie : vivre et travailler avec les yaks exige autant une observation et une connaissance de l’animal que de soi-même. Cela demande un engagement personnel, du courage, de l’humilité, de la patience, ainsi que la volonté de se remettre en question et d’apprendre. C’est un apprentissage continu, un chemin de développement intérieur : c’est grandir, c’est devenir de plus en plus précis (dans l’observation), de plus en plus simple (dans le geste), de plus en plus clair (dans l’intention) et de plus en plus ancré (dans la présence) ; c’est aller d’une gestuelle extérieure vers la force d’une présence intérieure. C’est passer du faire à l’être.   La bergère nomade vit immergée dans la nature quotidiennement. Elle sait lire la montagne et sait s’accorder à la dynamique de la météo pour guider son troupeau en sécurité; elle sait évaluer le terrain et la force des yaks pour choisir les étapes et trouver de l’eau et de la pâture pour les animaux, ainsi qu’un endroit abrité pour la nuit. La bergère nomade connaît ses animaux et sait lire leurs moindres gestes. Elle est synchronisée avec eux. Elle communique avec eux à un niveau intuitif, d’une façon qui est compréhensible pour eux et inspire la confiance. Elle a une sensibilité pour les guider gardant un équilibre fin entre liberté et encadrement afin qu’ils puissent développer leur potentiel et apporter leurs talents spécifiques. Le mot «chemin » dans ce contexte évoque l’apprentissage et le développement personnel ; un apprentissage d’une vie entière qui ne finit jamais – comme l’indique le chemin d’un art martial de l’Extrême-Orient. Un « chemin » contient toujours une essence averbale – hors du mental analytique – du vécu, de la présence, la notion de l’incarnation du savoir. C’est devenir yak, devenir montagne, devenir la grande nature… Le « chemin du berger » mène à une ouverture, une réceptivité, une spontanéité, une simplicité… C’est une présence dans le moment avec une conscience vaste des odeurs, des sons, des sensations sur la peau, de la chaleur, du froid, du vent, de la gravité du corps, du volume du corps, des battements du cœur… l’espace de la montagne, l’espace du troupeau, l’espace de chaque yak, mon espace… tout ce qui rentre dans ces espaces, les changements continuels de ces espaces… la vision des rochers, des pâturages, de l’emplacement des clôtures, de l’évolution du chemin, des dangers possibles, des routes, des voitures, des personnes, des chiens, d'autres animaux, des obstacles, des possibilités de contourner et autres variantes de chemin... Tout cela permet de réagir fluidement à une situation et de rester en harmonie avec le troupeau. Le premier berger – à la tête de la caravane - lit continuellement le terrain, le compare intérieurement avec ce qu’il sait de la carte, prévoit, observe et décide d’après ces informations, mais sait aussi déjà comment réagir si les yaks partent dans une autre direction parce que quelque chose leur a fait peur. Le premier berger est dans cette continuelle transformation du paysage, ce flux d’informations. Mais en même temps qu’il observe le terrain, il sent aussi la caravane et sa dynamique derrière lui ; tout à la fois, il lit la montagne, décide du chemin et de l’étape, gère le rythme et encourage les yaks. Son calme, sa clarté, sa présence, sa sagesse invite les yaks à suivre. Le deuxième berger est tout yak, il se fond dans le troupeau – il est à la place du taureau qui clôture, rassemble et protège la caravane à l’arrière. Il voit chaque mouvement des yaks devant lui, l’interaction, l’énergie, la dynamique, il suit fluidement, il équilibre au moindre signe de déséquilibre, il leur donne confiance, les rassure, affermi les indications du premier berger. Je réagis et réponds aux gestes des yaks, il y a un dialogue continuel entre nous, ils savent que je suis présente, que je vois, que je suis avec eux. En répondant je leur dis que je les prends au sérieux, que j’écoute ce qu’ils ont à dire, que je les respecte et que je leur fais confiance. Je suis calme, mais ce calme va toujours de pair avec une attention éveillée et une disposition d’agir si la situation le demande.




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