Sandrine arrive samedi 3 septembre, nous allons chercher Nayan et Naulekh à l'alpage et finalisons les bagages. Dimanche nous chargeons les yaks dans la bétaillère et partons direction Gottard. C'est la suite de notre voyage en direction de l'est qu'on a dû abandonner l'automne dernier suite à la blessure de Julong. Nous déchargeons les yaks au Lago Ritom et partons direction col du Lukmanier, pendant qu'André a une longue rentrée avec la bétaillère vide. Les yaks marchent bien. Naulekh est tout de suite dans son élément et nous poursuivons jusqu'en dessus du col du Lukmanier où nous arrivons juste à monter notre tente avant la pluie. La pluie tombe toute la nuit et des rafales de vent violentes secouent la tente. Dehors Nayan appelle je ne sais qui - il doit s'ennuyer du troupeau. Je ne dors pas beaucoup la nuit. Le matin toujours la pluie. Nous montons au Passo di Gana Negra et descendons le beau vallon de l'alpe di Bovarina parsemé de grands blocs derrière lesquels apparaissent un grand troupeau de génisses qui font la fête aux yaks - sauf que nos garçons n'apprécient pas trop cette attention féminine exagérée et ne savent plus comment s'en débarrasser. Nous non plus et même le berger qui émerge du brouillard avec son chien n'est pas vraiment une aide. Enfin ça se calme et nous échappons aux génisses excitées et disparaissons dans la pluie. Nous nous arrêtons dans une charmante clairière avant le hameau de Ronco. La pluie se calme aussi. Nous séchons nos affaires, les yaks se reposent, ruminent. Agréable d'avoir un moment au camp pour s'organiser, mais aussi pour découvrir les alentours et pour brosser les yaks soigneusement. Il commence bien ce voyage! Vivre la montagne, le chemin avec les yaks, le camps - pas que courir pour avaler des kilomètres!
Mardi 6.10. descente vers Campo Blenio et montée vers la cabane Scaletta. Nous nous arrêtons à côté de la cabane perche sur un rocher. Beaucoup de vent, mais un temps radieux. La vie est belle!
7.9.2016 Greina
Quelle beauté ce vallon de la Greina! Quelle joie de pouvoir le traverser par beau temps et s'en mettre pleins les yeux! On aimerait que cela continue pour toujours. Un vrai pays de yak!
8.10.2016 Fla da Patnaul
Du fond du val Lumnezia le chemin attaque droit en haut dans la forêt. C'est le matin, le soleil n'atteint pas encore le fond du vallon, la fraîcheur nous aide à grimper. Nous montons en direction du Fla da Patnaul, col très raide à côté du Piz Aul, seul passage pour atteindre la vallée de Vals. Tout en-haut de l'alpage il y a une bergerie qui se présente comme un petit camp de nomade dans ce paysage et raide et sauvage. Le berger nous raconte qu'il fait du portage avec son âne sur l'alpage, mais que l'âne n'arrive pas à traverser le col. "Pourquoi?" je lui demande. "Regarde, le chemin monte droit en haut cette arrête herbeuse et après c'est de la caillasse. C'est trop raide", me répond-il. "Mais peut-être tes animaux arrivent... "
Trop raide... Je me répète en continuant. Le chemin était déjà bien raide jusqu'ici... Et cela va être encore plus raide? En effet, le chemin monte droit en-haut. Même que les yaks préfèrent de monter en zigzaguant, Naulekh suit Sandrine avec courage dans la pente. Et Nayan suit Naulekh en faisant travailler ses muscles à fond pour pousser son corps vers le haut. L'herbe se transforme en caillasse, qui devient pierrier. Toujours droit en haut! Naulekh ne lâché pas, il grimpe, il escalade. Nayan suit toujours. Sous son poids il y a des blocks qui bougent, des cailloux qui roulent, des mottes de terre qui lâchent. Un sabot qui dérape sur une pierre, un yak qui se rattrape, se reprend, ajuste la position de ses pieds et continue à grimper. Nous montons - toujours plus haut. Droit en-haut. A un moment je me dis que nous pourrions plus revenir en arrière: la pente est trop raide, le pierrier trop instable pour qu'un yak puisse se retenir à la descente. Nous sommes obligés de sortir par le haut! Pourvu que le chemin ne s'empire pas! Je préfère ne pas y penser et me concentrer sur le moment, sur mes yaks, observer comme ils posent leur pied en équilibre sur les pierres, les encourager pas par pas. Nous sortons sur une petite bosse herbeuse où nous croisons des randonneurs venant du col et ne croyant pas leurs yeux en voyant apparaître des yaks. Devant nous s'étend un grand pierrier jusqu'au col... Mais moins raide, sans danger de chute. Je reste avec les yaks qui reprennent doucement leur souffle pendant que Sandrine part repérer le chemin. "Le chemin est légèrement tracé", me dit-elle en revenant, "mais il y a quelques bouts délicats dans les pierres..." Nous faisons une bonne pause avant de partir pour le dernier challenge. Les yaks hésitent à la première difficulté et finalement c'est Nayan qui trouve la solution. Mais cette première difficulté vaincue leur a redonné confiance et ils passent les autres lentement, précisément, très concentrés. Et enfin: on y est: au col! La vallée de Vals nous accueille avec des pentes herbeuses, juste quelques bouquetins qui font tomber des pierres dans la face du Piz Aul que nous devons esquiver en courant. Nous campons au premier point d'eau sous le col, heureuses d'avoir traversé ce passage clef du voyage vers l'est. Quel champion ce petit Naulekh! Il tient toutes les promesses! Et Nayan! Merci les yaks! Pour votre courage! Pour votre confiance en nous!
10.10.2016 Safien
Journée de repos dans la vallée de Safien: les yaks sont sur un grand pâturage et les humains et le chien sont hébergés par la famille Bandli qui élèvent aussi des yaks et font des treks avec des lamas. Nous nous reposons, faisons la lessive et remplissons nos provisions. Dimanche on repart plein d'élan par le Safierberg sur Splügen et montons encore à l'alpage de Suretta. Le dernier bout de chemin - une petite traversée dans la forêt - s'avère assez technique pour les yaks et nous devons même les débâter pour pouvoir passer derrière des paravalanches. Ainsi nous finissons avec une étape de dix heures! Le lendemain c'est encore une journée technique dans la forêt, les myrtilles et des éboulis de pierres sur un chemin mal entretenu mais magnifiquement sauvage. Nous mettons presque trois fois le temps indiqué comme les passages dans les pierriers demandent une énorme concentration aux yaks. Suit une descente très raide sur Ausserferrera et une montée chaude vers l'alpage de Sut Fuina où le berger nous accorde volontiers un coin d'herbe pour les yaks et notre camp. Nous trouvant sur un grand pâturage de l'alpage nous ne clôturons pas nos yaks qui restent à proximité du camp pendant la nuit et se couchent à côté de nous pour le petit déjeuner. Après ces deux longues journées - sachant que nous n’arriverons de toute façon pas à traverser Savognin et remonter de l'autre côté dans la journée - nous nous accordons une étape plus courte avec beaucoup de pauses pour savourer la belle herbe (les yaks) et la beauté du paysage (les humains) et une bonne sieste (le chien).
15.10.2016 Retour
C’est un matin magnifique, une grande pureté dans l’air, le paysage lumineux. Nous descendons le vallon de Nandro en direction de Tinizong. Nous suivons une petite route agricole entre de beaux prés à regain, ces petites routes en graviers qui sont le plus désagréable pour les onglons des yaks. Les deux yaks marchent sur le bord herbeux de la route. Sur le bord, pas dans le pré ! Toute l’étendu verte du regain devant eux, ils ne mangent pas, ils ne partent pas se promener dans le pré, ils marchent sur le bord et suivent Sandrine d’un bon pas en toute liberté. Pas de refus, pas d’esquive, pas de conflit de dominance, ils sont là, présents dans la caravane, dans la marche, dans le travail. Ce voyage a été d’une énorme fluidité, j’ai à peine levé la voix une ou deux fois pour les pousser en avant. La motivation, la coopération et le désir de marcher et travailler étaient là. Ils ont donné de leur mieux. Et tout le voyage c’est organisé là autour. La chance était avec nous. Comme maintenant : « Il faudrait que les yaks puissent boire avant de traverser le village », dis-je à Sandrine. « Je vois qu’ils ont soif. » Cinq minutes plus tard nous tombons sur une fontaine ! Et quelques contours plus loin nous arrivons sur une grande clairière. « On fait une pause ? C’est surement la dernière occasion pour eux pour manger et se reposer avant de traverser la civilisation au fond de la vallée. »
Et c’est là, pendant la pause dans cette belle clairière que Sandrine reçoit le message que sa mère est décédée. Elle était très malade depuis plus d’une année. Avant de partir en voyage l’année dernière Sandrine m’avait déjà prévenue que cela se pourrait qu’elle devrait partir tout à coup si sa mère va mal. Elle a vécu encore une année et s’en est allée maintenant, pendant notre deuxième voyage. Mais pendant ce voyage qui a été comparé à l’année dernière tellement lumineux, tellement fluide où tout s’organisait parfaitement. Et encore une fois, tout est parfait même dans ce moment difficile de grande tristesse. Pendant que Sandrine appelle les siens, je clôture les yaks dans un coin de la grande clairière et les débâte. Pas de temps à perdre à chercher où laisser les yaks et comment je me débrouillerai toute seule : les yaks et moi ont un endroit où rester la nuit sans déranger personne et une petite route monte vers la clairière ou André pourra venir les chercher en bétaillère. A peine une demi-heure après que Sandrine a reçu la triste nouvelle, nous descendons déjà ensemble vers Savognin où elle prend le bus pour rejoindre les siens. Je reste assise sur le banc au soleil brulant et regarde le bus partir avec Sandrine. Un autre voyage l’attend et l’a embarqué déjà : le voyage du deuil, des adieux, de comprendre cette rupture brutale que la mort trace dans la vie… et de toute ces milles choses qu’on doit faire au décès de quelqu’un… Que ce voyage aussi puisse se passer pour toi dans cette fluidité naturelle avec laquelle on vient de traverser les montagnes. Que les portes s’ouvrent devant toi !
A moi et Anuun et les yaks de finir notre voyage. Mais tout se fait tellement facilement. André averti à midi est déjà sur la route avec la bétaillère. Sans même rentrer à la maison, il est parti directement après la pause midi. Une vie de guide, une vie à aller aux secours en montagne, il est prêt n’importe quand, il ne se pose même pas de questions là-dessus. Que je suis gâtée d’avoir un soutien pareil ! Je vais installer le camp à côté des yaks et je redescends au village pour attendre André. Quand il arrive le soir nous allons manger ensemble et montons vers les yaks. On peut même garer la bétaillère sur un plat à côté de la route ! Tout est prévu ! Nous passons la nuit dans notre tente et le lendemain à sept heure et demie, les bagages et les yaks sont déjà chargé et nous sommes sur la route en direction du Valais.
Comentários