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Photo du rédacteurRosula Blanc

Retour en Valais

Dernière mise à jour : 17 oct. 2020

Pendant ma méditation matinale en face des montagnes du Windachtal j’ai visualisé notre départ et le chargement des yaks. A chaque fois, je suis émerveillé à nouveau quand après une visualisation tout se passe tellement facilement et les yaks montent dans la bétaillère comme je l’avais imaginé. C’est comme si nous en avions déjà parlé et tous – eux et nous – savons ce qui va se passer et comment le faire.

Les papiers de sortie se font facilement aussi, le vétérinaire en charge s’est mis tout de suite à disposition et nous donne rendez-vous dans une station essence au bord de l’autoroute pour signer les papiers. « Dommage que cela n’a pas abouti, nous dit-il, c’était un beau projet. »

Nous faisons le trajet en deux étapes avec une pause d’une nuit au bord du Walensee chez Pius et Andy. Régina qui aurait dû faire la deuxième partie du voyage avec moi et les yaks nous rejoint avec un magnifique panier de produits locaux. Andai et Joan, le mari et le fils de Pascale viennent à sa rencontre ; Andai a préparé un souper chinois que nous mangeons ensemble dans l’écurie. Nous campons à côté des yaks. Le matin, Pascale, Andai et Joan partent chercher le petit chat que Pascale a choisi chez Irmgard. Regina m’accompagne jusqu’à une clinique vétérinaire près du lac de Zurich où j’aimerais faire faire une radio du pied de Tsarang pour être sûre qu’il n’y a rien de plus grave avant de le mettre au repos à la Giette. Malgré deux semaines de pause son état ne s’est pas amélioré, ce qui est quand-même étonnant…. Il pleut des cordes quand nous déchargeons les deux yaks. Naulekh reste attaché à la bétaillère et peut brouter un peu pendant Tsarang doit rentrer dans le hangar ouvert de la clinique pour que les vétérinaires puissent examiner son pied et faire une radio. Ironie du destin : l’appareil de développement qui fonctionnait parfaitement le matin, froisse la radio du pied de Tsarang qui devient illisible. Aussi, il est impossible de développer la deuxième radio avant que l’appareil ne soit réparé. Donc : toujours pas de diagnostique précis ! Mais vu qu’il n’y a pas eu d’amélioration, les vétérinaires pensent que cela pourrait être une fracture de l’os du pied. Elles remettent une cale sous l’onglons sain tout en immobilisant l’onglons douloureux.



Les deux yaks remontent volontiers dans la bétaillère pour continuer le voyage. J’amène Régina à la prochaine gare et continue mon chemin toute seule avec les deux yaks dans le van. Il pleut. C’est un long voyage sur l’autoroute qui demande de la concentration. Seule. Seule avec mes deux yaks. Seule avec moi-même et mes pensées. Seule - cela ne me dérange pas. Je mets de la musique. Hier j’ai fait écouter à Pascale quelques chansons d’un ami japonais - de mon premier grand amour – une relation qui était très forte, très marquante, très importante pour moi, mais qui n’a jamais vraiment joué dans la vie. Le CD est toujours dans la chaine de musique de la voiture. Il y a des années que je n’ai plus écouté ses chansons. Je les redécouvre, je les écoute différemment. Ce que j’entends aujourd’hui c’est le rythme, l’énergie, la force, la puissance, la joie, le rêve qui les porte et les anime. Je sens l’âme, le Qi de celui qui les chante. Je m’y reconnais tellement : tout ce que je cherche à vivre, à exprimer dans mon travail avec les yaks, dans cette rencontre et fusion d’homme, animal et nature que j’explore dans mes expéditions y est : le rythme qui porte une caravane et que je sens pulser dans mon sang ; la force et la puissance qui se révèle en moi quand je dois affronter un yak et m’imposer, ce moment de joie sauvage quand je deviens yak, quand cette force de la vie me traverse - pure, neutre, non teinté de l’égo – le moment où je me sens un avec la grande nature; la célébration, la joie de vivre ; le rêve de faire quelque chose de nouveau, de se dépasser, d’atteindre une compréhension plus profonde, d’aller toujours plus loin, l’aspiration de toucher les nuages ou de toucher l’âme en sa profondeur….

Ce que j’entends aujourd'hui dans cette musique c’est un frère d’âme, un être humain qui essaie de toucher le mystère de la vie dans son art, intense, sauvage et doux en même temps. J’entends ce qui m’anime en profondeur, mais ce que j’ai de la peine à exprimer : pourquoi je fais ces voyages avec les yaks, la passion, le rêve, la joie, la liberté, la profondeur, la beauté…

Lui, il le trouve sur scène, moi je le trouve en montagne avec mes yaks, mais l’essence se ressemble… Cela me fait du bien d’écouter sa musique, car pour moi la solitude n’est pas d’être seule dans l’espace ; la solitude qui pèse c’est la solitude de l’âme, de se sentir seule dans ses aspirations et rêves, dans l’amour profond que j’essaie d’exprimer à travers ma vie…

“Don't question why she needs to be so free She'll tell you it's the only way to be…”

C’est une reprise des Rolling Stones chère à Kaja qui résonne dans la voiture.

“She just can't be chained To a life where nothing's gained Or nothing's lost, at such a cost…”

Oh, oui…

"There's no time to lose, I heard her say, Catch your dreams before they slip away…”


Il y a quelques jours, quand j’ai compris que le voyage était fini, je suis montée dans la montagne dans le Windachtal, je marche dans les premiers rayons de soleil, je me couche dans l’herbe rase et humide, je pleure. Je pleure la fin de l’expédition, la fin du voyage, je pleure la douleur de Tsarang, je pleure mon impuissance, ma perplexité, ma tristesse... Je ne veux pas rentrer, je ne veux pas m’arrêter. Je ne veux pas revenir dans une routine inchangée à la maison sans y ramener l’énergie et l’inspiration du voyage…

C’est un moment où je me sens tellement seule dans ce qui m’anime à l’intérieur…

J’aimerais appeler André et lui en parler. Lui, il comprendrait ce que cela veut dire d’abandonner une expédition, un rêve, l’immense travail qu’il y a derrière… Il ne dirait pas beaucoup, mais il comprendrait – et ce serait assez.

Les situations extérieures de la vie peuvent changer, ainsi que la dynamique à l’intérieur de nous, nos besoins, notre rythme, nos priorités, mais l’essence de l’âme ne change pas. Les rencontres au niveau de l’âme je les porterai toujours avec moi – le souvenir à ces frères d’âme qui me donne du courage. Merci à la vie de vous avoir rencontrés, de l’inspiration que vous étiez pour moi et que vous êtes toujours, de la force que cela me donne pour mon propre chemin.


Quand j’arrive à la Giette, j’ouvre la bétaillère et laisse sortir les yaks sur la route. Je ne les attache pas. Je fais tellement confiance après tout ce que nous avons vécu ensemble. Ils hument l’air et regardent le paysage, puis doucement ils me suivent et descendent le sentier vers l’écurie et rentrent dans le pâturage.

Les voisins m’interpellent et m’invitent à boire un thé chez eux et nous échangeons les nouvelles. Quel bel accueil ! Ensuite je monte vers la maison. J’ai loué la maison pendant mon absence à Ana, une femme dynamique et intéressante, spécialiste en tissus japonais. J’ai dû l’avertir que je rentrerais plus tôt que prévu. Elle m’accueille avec un magnifique souper dans une maison qui est magnifique aussi : il y a des tissus partout comme Ana est en train de préparer une exposition. Ces couleurs et textures vont tellement bien dans la maison et y sont exposé avec tellement de gout, que c’est un vrai plaisir. Cela me rend heureuse de voir que la maison a ainsi été un lieu de créativité et beauté pendant mon absence, je suis juste navrée d’y déloger Ana plus vite que prévue !



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