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Lettre à Naulekh

  • Photo du rédacteur: Rosula Blanc
    Rosula Blanc
  • 17 août
  • 15 min de lecture

Dernière mise à jour : 27 août

Mon cher Naulekh,


que vous êtes bien ici, perchés en dessus de la vallée avec une vue sur les glaciers et les pics rocheux.  Non loin des crêtes où il y a du vent pour vous rafraîchir pendant les journées de canicules, vous savez détecter les moindres sources cachées où vous léchez ou sirotez patiemment l’eau qui suinte du sol.


Quand je suis arrivée chez vous, Tsarang est venu droit vers moi pour me demander de le gratter derrière les cornes; sans trop tarder Géwa a suivi pour montrer son affection et poser sa tête contre moi. Toi, tu n’as pas bougé, mais tu m’observes du coin de l’oeil comme toujours, calme et présent. « Je t’ai vu monter depuis loin, qu’apportes-tu comme nouvelles, comme idées, comme projets? » sembles-tu demander.


© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

Je vais m’asseoir à côté de toi, mon Naulekh, pour essayer de te raconter ce qui se passe avec les préparations de notre voyage. Toi, mon partenaire de voyage, mon ami intelligent et courageux. Toi, le chef du troupeau qui mène sa tribu avec clarté et décision. Tu sais ce que tu veux et ce que tu fais. J’adore t’observer quand tu as décidé de changer d’endroit et que tu te mets en route avec une calme certitude qui ne laisse aucun doute que tu saches ce que tu fais. Les petits yaks sentent le mouvement et galopent autour de toi plein de joie pendant que les plus grands suivent à la queue leuleu comme une évidence.


Alors, je voulais te parler de notre voyage. Ces voyages que nous poursuivons chaque automne depuis quelques années. Ces moments de vraie et profonde rencontre, ce temps d’apprentissage commun, ces épisodes où nos deux mondes - qui en temps normal ne font que se frôler - se chevauchent. En temps normal, vous les yaks vivent dehors, dans le pâturage ou à l’alpage et moi, dedans dans la maison ou dans mes obligations, mon travail et mon calendrier humain. Nous nous rencontrons aux frontières de ces mondes, nous sommes voisins et amis, mais rarement nos rythmes et le contenu de nos vies sont les mêmes. Sauf en trek, quand nous sommes des compagnons de voyage à travers la même montagne, rencontrant la même météo, ayant à franchir les mêmes obstacles, à trouver refuge et nourriture et eau et à vivre la joie et la fatigue ensemble. Ce sont des moments tellement précieux et marquants pour moi. Ce sont des moments qui nous forment, qui nous font grandir et évoluer. Et chacun ramène cette expérience dans son monde, dans son troupeau, dans sa société….


© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

Dans mon monde des humains, cela m’incombe à organiser les parties logistiques du voyage et à négocier avec la société des humains de nous laisser voyager à travers les frontières des pays que les humains ont délimités.


Je voulais aller en Piémont avec toi, continuer la ligne que nous avons commencé en 2023. Je voulais aller en Piémont, car là-bas il y a de la place, des paysages vastes, peu de gens et d’animaux que nous dérangeons, peu de constructions et lotissements humains, peu de routes et de trafic qui nous entravent dans notre mouvement. J’avais beaucoup aimé ces montagnes italiennes et l’accueil chaleureux de ses habitants humains.


C’est pour pouvoir continuer ce voyage en Italie que tu as du faire les deux vaccins contre la langue bleu ce printemps. J’ai envoyé ton certificat de vaccin aux autorités et les vétérinaires italiens nous ont donné le feu vert pour le voyage. Les préparations de l’itinéraire, la logistique, les ravitaillements, tout était fluide et en bon cours.

Nous avions juste encore besoin du document de réimportation quand les Suisses de l’OVAG m’ont prévenu en juillet qu’ils déconseillaient le voyage à cause d’une nouvelle épizootie qui était apparu en France voisine et qui vous touche, vous les bovins.


Tu me demandes ce que c’est cette maladie et si c’est dangereux?


© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

C’est une maladie, venu de l’Afrique avec des mouches, emportées par le vent ou passagères clandestines sur les bateaux ou dans les avions; elle s’appelle « Dermatose nodulaire ». Elle existe depuis longtemps en Afrique et les pays du Sud, elle cause de la fièvre et des nodules sur la peau qui se nécrosent avec le temps. Comme toute maladie, elle affaibli, et l’affaiblissement fait que les femelles ont moins de lait, donc elles permettent moins de rendement pour les humains. Mais elle n’est que très rarement mortelle et on peut la soigner; vous pouvez vous remettre de cette maladie, reprendre des forces, guérir et continuer votre vie. Cette maladie, qui se transmet surtout par les insectes, n’est pas contagieuses pour les humains, ils ne craignent rien, même en buvant votre lait ou mangeant votre viande. Voila donc une maladie surement pas très esthétique (parce que cela vous fait des plaies sur la peau), mais pas trop grave non plus. Tu va me dire que ce n’est jamais rigolo d’être malade et je suis d’accord avec toi. Mais cela fait partie de la vie, ces moments d’abattement, de faiblesse desquels nous sortons immunisés et donc en ayant grandi, en ayant absorbé et transformé l’information du virus, qui est une information du grand monde de la nature qui nous entoure.


Oui, Karunâ a eu de la fièvre ce printemps, je m’en souviens. Le vétérinaire avait dit que c’était une pneumonie. Nous l’avons soigné et maintenant il grimpe les montagnes et se lance dans la vie avec curiosité et joie. Oui, Kunsang aussi. Et Tsarang a eu une forte toux il y a quelques semaines. Nous les avons soignés et ils sont là, couchés autour de nous à écouter notre conversation en ruminant tranquillement. Tsarang n’a pas été « rentable » pendant sa maladie, parce qu’il n’a pas pu marcher en trek avec nos clients et nous avons du changer le programme à cause de sa maladie, mais il a repris ses forces et a travaillé sur le dernier trek comme toujours, tu as raison.



© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

Je reviens à cette nouvelle maladie qui s’appelle la dermatose nodulaire…

Naulekh… j’ai de la peine à continuer mon récit et à te dire ce que les humains ont fait quand ils ont découvert cette maladie qu’on avait jamais eu auparavant en Europe de l’ouest ….

Les humains ont ordonné à tuer tous les animaux d’un troupeau où ils ont trouvé un animal malade…

Oui, Naulekh.

Ils les ont tués. Tous. Les malades, ainsi que ceux en bonne santés…. Les jeunes, comme les adultes… les mâles comme les femelles…. Tous!


Pourquoi?

Ben… parce qu’ils ne veulent pas voir cette maladie en Europe. Ils pensent que s’ils éradiquent tous les animaux malades ainsi que ceux qui ont été avec eux, ils arriveront à éradiquer la maladie aussi, elle cessaient d’exister sous le tas des carcasses...

Et les insectes? Ben… les insectes ils leur échappent…ils continuent à voler…ou les tiques continuent à se cacher dans la végétation et à attendre qu’un animal passe… Ou ils reviennent de l’Afrique, avec le prochain bateau, le prochain avion, la prochaine cargaison de marchandises…. Et cela recommencera. Jusque’à ce qu’ils abandonnent et déclarent que la maladie est normale chez nous …


Mais…


Naulekh… je pleure avec toi….

Moi non plus, je ne comprends pas…


Naulekh… j’ai vu des images de vaches tomber l’une après l’autre…. et être évacuées dans des containers de morts… jetées à la poubelle….

Je n’ai pas pu continuer à regarder l’exécution de ces êtres…. j’en ai la nausée…. j’en suis malade….


Comment peut-on faire cela à des êtres aussi doux que des vaches laitières? Des vaches qui ont toujours vécu avec l’homme et pour l’homme. Qui lui faisaient confiance, qui lui donnaient leur lait et leur veaux?



Naulekh… je suis horrifié de ma propre espèce…. Je me réveille la nuit. Je me dis, que ce n’est pas vrai, qu’on ne peut pas faire cela, que ces tueries sont juste un cauchemar. Mais les morts sont véridiques, irréversibles….



Oui, pas tous les humains sont d’accord, il y a des propriétaires qui se sont battus pour leur vaches, qui ont essayé de les sauver, de les protéger, de les défendre, de les soigner, de trouver un chemin, de discuter…mais la police est venue, les forces de l’ordre, les juges... la peur des autres.... l'opinion publique... ils ont été écrasés jusqu’à ce qu’ils n’en pouvaient plus, jusqu’à ce qu’ils ont cédé à la pression…


Oui, les propriétaires, ils sont vivants, mais ils sont brisés dans leur être, brisés par la violence du massacre des animaux qu’ils ont élevé et soigné…

On vous tue, vous les bovins et on brise et soumet ceux qui vivent avec vous….


Dans les guerres des humains, il y eu des personnes qui ont du assister au meurtre de leur proches, leur famille, leur conjoint, leur enfants… assassinés devant leurs yeux….

La violence psychologique fait partie des tactiques de guerre pour détruire le moral l'ennemi...


Est-ce tellement différent d’assister à la mise à mort des êtres doux qui sont dans notre garde, que nous côtoyons tous les jours, que nous appelons par leur nom, dont nous connaissons les joies et les souffrances? Des êtres qui sont au centre de notre vie et notre travail? Des être qui nous font confiance?


Ah, j’entends les humains crier « on n’a pas le droit de comparer un animal à un humain. La vie d’un animal ne vaut pas la vie d’un humain. C’est du sentimentalisme. C’est ridicule. On ne pleure pas pour un animal. On ne s’attache pas…»


Tu me regarde surpris, Naulekh. Oui c’est ainsi que les enfants des humains sont éduqués, qu’un animal vaut moins qu’un humain. C’est l’idée répandue dont tous les humains sont imprégnée. C’est pour cela qu’on montre les images des vaches qui tombent, que tous s’y habituent, qu’ils considèrent comme normal que les vaches ne soient pas soignées, mais tuées quand il y a une épidémie.

Nous sommes programmés dans les normes de la société dès notre enfance…. "Normal" est, ce que nous avons toujours vu, "normal" est, ce que tous le monde fait.


Je vois ton incompréhension, Naulekh.

Oui la nature est infiniment riche, il y a tellement d’êtres, tellement de formes de conscience, tellement de façons de vivre sur cette planète… Nous sommes différents dans les facultés de nos sens et de notre cerveau - nous le savons trop bien, toi et moi qui voyagent ensemble, qui essayent de nous comprendre, de communiquer et de trouver du consensus, un équilibre, un bien-être et de la joie pour toi comme pour moi.


Mais même si nous sommes différents de forme, de besoins, d’intelligence et d'aspirations, nous ne sommes pas différent au niveau de l’être. J’en suis convaincue.


Et tu sais, Naulekh, je crois qu’un jour, un jour cela sera la normalité, personne ne le questionnera. Un jour - pas un jour que nous allons voir, toi et moi - mais un jour, j’en suis certaine.


© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

Tu sais, il a eu un temps, que les humains blancs pensaient que les humains de couleur étaient inférieurs à eux, parce qu’ils étaient différents. Différents dans leur culture, leur croyances et coutumes, différents dans leur vue du monde, différent dans leur aspirations et expressions.

L’infériorité supposée des races de couleur donnaient aux hommes blancs une excuse ou une raison de les tuer facilement, ils se disaient que leur vie n’avait pas grande valeur….

Cela a changé.


Il y avait aussi un temps ou les les mâles humains croyaient que les femelles humaines étaient inférieures à eux, dans l’être, dans l’intelligence. Qu’une femme valait moins qu’un homme.

Et cela a changé aussi.


« I have a dream, Naulekh! » Un rêve qu’un jour tous les êtres vivants seront égaux, égaux dans leur être, égaux dans leurs différences. Qu’un jour nous retrouverons le respect du vivant.


De tout le vivant.


Même si le vivant se nourrit du vivant. Le vivant est imbriqué l’un dans l’autre. Il y des prédateurs et de proies. Impossible d’avoir la vie sans la mort. Mais avec respect, avec modération.


Des abattages massifs comme ils se font pour le moment en Savoie n’ont rien a faire avec du respect. Les bovins sont traité d’objets de production, de choses remplaçables et sans âme, de choses à gérer, de chiffres, de donnés dans un ordinateur….


Tu me demande, mais qui peut faire cela?

Qui peut penser ainsi? Qui a donné l’ordre de ce massacre? Qui est responsable?

C’est une bonne question, mon Naulekh, tu touches à quelque chose d’inquiétant dans la société des humains.


La question de la responsabilité et bien flou et opaque.

En effet, je ne sais te répondre exactement. Je sais que si cela serait ici, je recevrais probablement une lettre de l’office vétérinaire cantonal et le vétérinaire local aussi recevrait un orde de l’office vétérinaire cantonal qu’il doit venir vous euthanasier tous.

Le même vétérinaire qui vous soigne?

Je pense….

Tu me dis que tu croyais qu’il voulait vous aider, qu’il voulait que vous guérissez, que vous allez bien…

Oui, je le croyais aussi… Mais il reçoit des ordres de gens plus puissants que lui.

Il peut démissionner et partir et ils enverront un autre qui aura aussi reçu des ordres, qui dira « ce n’est pas moi qui ai décidé, je ne fais que suivre des ordres, des ordres du canton, de l’état, de Union européenne… Ce n'est pas de ma faute... »


Parce qu’en effet, le vétérinaire cantonal dira qu’il se base sur l’ordonnance des vétérinaires fédérales qui eux se basent sur les lois et les lois de la Suisse se basent sur les lois de l’Europe et les lois de l’Europe sont fait à Bruxelles par le parlement européen et le conseil de l’union européenne. Le parlement se base sur des rapports de scientifiques, qui eux basent leur recommandations sur des modélisation sur ordinateurs…

C’est à dire ils laissent calculer l’ordinateur, qui n’est pas un être, pas une intelligence des êtres, mais une intelligence artificielle. L’ordinateur calcule si ce serait mieux de tuer ou pas tuer, de tuer que les animaux malades, ou de tuer tous les animaux du troupeau…. De vacciner ou pas vacciner… et ainsi de suite

Pour la machine, les vaches ne sont pas des êtres, mais des données,, son calcul est abstrait, loin de la vie. Aussi, ni une machine, ni un humain n’arrivera jamais à prendre en compte tous les aspects complexes et subtils de la vie et la grande nature. Pour la machine, éliminer est une donnée plus facile que soigner qui risque d’avoir des variables…

Oui, c’est une machine qui a décidé de la mort, et des humains loin de la réalité des vaches et des paysans décident que la machine a raison, que la machine est loi et que tous qui s’opposeraient à la vérité de la machine seraient punis. Et tous les humains ont peur et se soumettent aux lois qui sortent du jugement de ces personnes dans des bureaux lointains qui ne consultent pas les gens du terrain, mais qui consultent des machines et suivent leur modélisation.


Oui, il y a une hiérarchie chez les humains comme chez vous, il y a un chef.

Il y a des petits chefs que nous connaissons, mais il y a des lointains chefs plus puissants, plus dangereux dont tout le monde a peur, qui n’ont pas de visages… que nous ne connaissons pas, mais que nous suivons quand même…


Oui, moi non plus je ne comprends pas, Naulekh. Même si c’est mon monde des humains - des fois il me semble que je comprends mieux ton monde que le mien. J’ai honte de ce monde des miens, j’ose à peine t’en parler…..


Silence


© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

Pour revenir à notre voyage, Naulekh, c’est sûr que je ne veux pas mettre ta vie en jeu, donc quand j’ai appris tout cela, j’ai tout de suite commencé à chercher des itinéraires alternatifs qui seraient loin de cette épizootie.


L’épizootie se trouvant aux frontières ouest de notre pays, je me suis tourné vers l’est, vers l’Autriche et j’ai ressorti notre parcours commencé en 2020 avec Tsarang et Pascale que nous avions du interrompre à cause de la blessure de Tsarang. C’est beaucoup plus loin d’ici, mais j’ai réactivé les contacts de 2020 et écris aux vétérinaires officiels de Salzbourg et Steiermark pour leur demander si ils nous laisseraient voyager chez eux. Il m’ont envoyé une réponse affirmative avec les conditions à remplir et les procédures à suivre. Dans leur lettre ils affirment que :

« Aucune épizootie transmissible aux bovins n'est officiellement connue le long de l'itinéraire de trekking prévu. »


Heureuse, je transmets cette lettre au vétérinaire cantonal responsable de nous rédiger les documents de voyage ainsi qu'à l’OSAV, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires pour faire la demande de réimportation (un document obligatoire pour que tu puisses revenir en Suisse).

Leur réponse me surprend:

« Bonjour Madame Blanc

Merci beaucoup pour votre nouvelle demande.

Avez-vous déjà pris contact avec le canton du Valais ?

Pour obtenir une autorisation, nous devons également avoir l'accord du canton du Valais.

La situation épidémique est actuellement très dynamique.

Vous trouverez plus d'informations à ce sujet ici : Radar

Comme nous vous l'avons déjà indiqué, il se peut que vous ne puissiez plus ramener l'animal en Suisse ou qu'il doive même être euthanasié.

Si vous souhaitez vraiment effectuer ce voyage, veuillez remplir une nouvelle demande en indiquant l'itinéraire prévu. »


Nous sommes en aout, le bulletin Radar sur le site est celui du mois de juin…. Comment peut-il être indicatif dans une situation épidémique très dynamique? En tout cas, l’Autriche n’y est mentionné pour aucune maladie.

Ayant renoncé de visiter des régions proche des foyers épidémiques et me rendant dans une région loin de la maladie, indemne d’épizootie, pourquoi insistent-ils de me rappeler "qu’il se peut que vous ne puissiez plus ramener l'animal en Suisse ou qu'il doive même être euthanasié?"


Cette menace je la connais depuis notre premier voyage vers la mer, c’est une menace implicite, toujours présente pour toi, mon Naulekh. A chaque voyage j’y suis confronté à nouveau, à évaluer si le voyage vaut la prise de risque. Cela pèse sur mon coeur. Chaque voyage je le ressens comme une grande responsabilité envers toi. De bien planifier, bien me renseigner et te ramener sain et sauf à la maison. C’est comme une épée de Damocles en-dessus de nos têtes. Je m’y suis habitué, j’ai cru que c’était "normal", je me disais que c’est ainsi parce que je travaille avec des bovins. Mais est-ce vraiment "normal"? Normal qu’on puisse me dire cela de toi, mon partenaire de voyage?


Non, biensûr, cela n’existe pas pour les chevaux, mulets et ânes, eux ils ont droit de voyager librement sans qu’on les menace à chaque fois avec un abattage possible au retour. Il y a une grande différence entre la liberté accordée aux équidés et celle accordée aux bovins… Je sais.

Mais en plus de cela, pourquoi avait cette dame besoin de nous répéter, qu’il y avait un risque que tu doives être euthanasié que nous nous rendons dans des terres propres loin des foyers d’épizootie? Il me semble que l’Autriche est plus sûre pour toi et ta vie que le Val d’Hérens, qui est proche des foyer français et sous la menace d’entrer en zone de restriction à n’importe quel moment?


Explique-moi mon Naulekh!


Long silence


© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

Bon, je continue mon récit, Naulekh.

Voici ce que m'a répondu le canton du Valais:

« Bonjour Mme Blanc,

Nous vous remercions pour votre courriel dont nous avons pris bonne note.

Comme dans les années précédentes il faut refaire une demande d’autorisation à l’OSAV pour la réimportation de votre Yak.

Avec nos meilleures salutations »


Clairement, ils se renvoient la balle et personne ne veut prendre une décision. Je leur réécris en demandant des précision sur le déroulement du retour si, pendant le temps de notre voyage, le Val d’Hérens serait entré en zone de restriction et voici la deuxième réponse du canton:


« Bonjour Mme Blanc,

Le départ étant prévu pour le 3 septembre avec retour un mois après et en tenant compte de l’incertitude de la situation épidémiologique et des mesures sévères prévues pour combattre la maladie, nous devons malheureusement vous conseiller de renoncer à votre voyage cette année également. Comme déjà communiqué, la situation épidémiologique est dynamique et nous ne pouvons pas vous prédire ce qui s'appliquera à votre retour.

Avec nos meilleures salutations »


Définitivement, ils ne veulent pas nous laisser voyager, malgré la permission de l’Autriche et leur confirmation que leur région est libre d’épizootie. Et aussi aucune précision sur les procédés de rentrée demandés! Que des phrases vides!

Si les autorités autrichiennes auraient exprimé des doutes que leur territoire puisse être affecté par l’expansion de l'épizootie, ou des scrupules de laisser rentrer Naulekh qui vient d’une région beaucoup plus proche des foyers de maladie, pour protéger leur cheptel, j’aurais bien compris. Mais là, les Autrichiens sont positifs et confiants et ce sont les Suisses qui nous "déconseillent" de voyager en lieu sûr.

C’est comme s’ils voulait te garder prisonnier, comme si cela leur déplaisait que tu puisses t’échapper de la menace d’être enfermé en zone de restriction, que tu puisses voyager, que tu puisses être en sécurité…. C’est quand même incroyable!


Tu me demandes ce que cela veut dire d’être en zone de restriction? Les autorités ont dessiné des cercles de cinquante kilomètres autour des foyers de maladie qu’ils ont déclaré des zones de restriction. Dans les zones de restriction la vaccination est obligatoire et tout mouvement des bovins est interdite. Si le Val d’Hérens entre en zone de restriction avant notre départ, nous ne pouvons plus partir. Toi et tout le troupeau sera vacciné, nous ne pourrions plus faire de trek et plus nous déplacer. Et.... si la maladie vient plus proche et s’ils trouvent un cas de la maladie à Tzaté, ils peuvent émettre un ordre de vous euthanasier tous…..

Si.... C'est juste une éventualité. Mais une éventualité bien cruelle....


Oui cela fait peur, Naulekh!

Beaucoup d’éleveurs ont peur… les humains ont peur de la folie des autres humains, des lois qui viennent des modélisations des machines et que tous suivent sans oser s’y opposer….


Tu trouves que ce n’est pas étonnant que nous nous soumettons aux machines?

Hmmm? Comme vous vous êtes soumis aux humains, à leur bienveillance comme aux caractère arbitraire de leurs décisions….? En croyant - et en espérant - qu'elles soient justes et justifiés?


Oh Naulekh!

Oui, tu as raison, nous sommes tous des êtres de troupeaux qui cherchent à trouver protection en suivant la masse…



Je suis fatiguée, Naulekh….


© Marouan Abu Nijmeh
© Marouan Abu Nijmeh

La montagne est magnifique.

Un rayon de soleil a percé les nuages et fait briller l’herbe.

En montant à votre recherche, surprise par la pluie, je me suis arrêtée sous un grand rocher au bord du lac, le léger bruit des gouttes sur l’eau dans ce grand calme embrassait mon coeur meurtri avec douceur.


Merci d’exister dans ma vie, toi et tous les autres yaks.

Merci de me montrer la montagne à travers votre être.

Merci de me ramener à la nature et de me rappeler ce lien fort qui lie tout le vivant.

Merci de me monter autre chose que la folie humaine.


Je vous aime, mes yaks!



 
 
 

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