Le récit de Juliette
- Rosula Blanc
- 11 mai
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 juin
J'ai fait connaissance avec le père de Juliette qui travaille dans l'édition quand nous préparions le livre "Le Silence des Yaks". Lorsque je l'ai rencontré au Festival de Photo de Chamonix où Bertrand exposait des photos des yaks, il m'a demandé de dédicacer un livre pour sa fille Juliette qui aime beaucoup les animaux et s'intéresse à la profession de bergère.
Cinq moi plus tard, Juliette qui a grandi en banlieue parisienne est arrivée en stop à la Giette pour un stage de trois semaines. Très à l'aise avec les animaux, elle s'est occupée des yaks et a fait de grandes balades en montagne avec les chiens. Elle a appris à faire les clôtures et m'a assisté pour les travaux de printemps.


Voici son récit sur le temps en montagne:
Dans le chalet, pas de pendule, pas d'horloge.
Dans le chalet, pas de nombre ni d'aiguille. Tout se perd dans la botte de foin.
Niché entre les mélèzes, entre nuages et neige, pas de montre ni d'heure, mais de grandes fenetres par lesquelles s'agitent les fluctuations du temps.
Mais detrompez vous, rien à voir avec les minutes, les tic-tacs ou les comptes à rebours. Non, rien à voir avec ce temps numérique vidé de toute signification, ce temps amorphe.
Ici, dans le chalet, le temps ne se compte pas mais se ressent et s'observe.
Il est le nuage qui tapisse certains matins la Dent Blanche, il est le soleil qui fait fondre la neige.
Le temps saisit la peau, fait se plisser les yeux, et structure les journées.
Incarné, il est le ventre qui gargouille à la fin d'une matinée de chantier, les muscles qui tirent et le rythme qui ralenti quand se couche le soleil sur la montagne. C'est une temporalité organique et interne, une horloge biologique instinctive.
Animale.
C'est le temps des anciens qui manque à la ville.
Car là-bas, dans le monde d'en bas, ou les saisons ne passent plus, et où le ciel est encombré d'immeubles et d'avions, le temps est aseptysé, domestiqué, soumis.
On le perd, on lui court après, on en a peur, on attend qu'il passe. Le temps est cadence d'usine et sonneries de collège, pause dej trop courte et 35h.
On se lève avant l'aube.
On se couche après le réveil des étoiles. Eternellement insatisfaits de ce temps capitaliste qui courbe les dos et angoisse les coeurs.
Alors on cherche à en gagner, on le troque, vulgaire denrée échangeable. On en détraque la mécanique, et les précieuses secondes s'accumulent sous les cernes bleus-violets.
Le temps se file et ne fait plus sens.
Le temps retire là où il donnait.
Mais ici, au chalet, le temps habite chaque geste. Il est le ruisseau qui coule, les couleurs qui changent, les tulipes qui fanent dans le salon. Et, parce que ce temps est omniprésent, on l'oublie.
Plus besoin d'intermédiaire numéraire, l'horloge est chaire!
C'est seulement ainsi qu'il s'habite et prend la forme d'un temps pour sois, d'un temps pour rire, d'un temps de replis et de pleurs, d'un temps d'adaptation et d'apprivoisement.
Alors, dans le chalet, pas de pendule, pas d'horloge, mais des montagnes anciennes comme la Terre, des neiges éternelles, dans transhumances cycliques, des rites, des odeurs familières et des habitantes éphémères.



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