Départ pour une nouvelle aventure avec Naulekh et Tsarang. Les deux yaks savent que je pars avec eux, ils montent facilement dans la bétaillère. Nous allons dans les Grisons. Pour couper le long trajet en bétaillère j’ai accepté l’invitation d’Andreas Marty de m’arrêter à la ferme où il a ses deux yaks en dessus de Weesen au bord du Walensee. Nous y arrivons après presque six heures de route. Les yaks sont invités à monter dans un pâturage pentu entre la ferme et la forêt. Ils semblent étonnés : “tout ce voyage pour arriver ici?” C’est vrai qu’en général quand je les déplace en bétaillère nous arrivons quelque part en montagne et commençons à marcher. La marche les aide à se libérer du stress du transport et à retrouver leur équilibre intérieur. Ici ils sont juste invités à se reposer, mais ce talus artificiel, créé lors de la construction de la ferme ne les inspire visiblement pas. Je les laisse explorer pendant que je vais boire un café avec l’oncle du paysan qui a 84 ans et me raconte pleins d’histoires très intéressantes du temps où il gérait la ferme. Quand je reviens les yaks ne se sont toujours pas posés, ils semblent toujours en attente : “et maintenant quoi?” Je les brosse et passe un moment avec eux. Quand je redescends vers la voiture ils me suivent et Naulekh continue avec un pas décidé vers la clôture, saute la clôture et pars sur la route en direction de la forêt. Il a décidé que cet endroit ne lui convenait pas et qu’il devait chercher autre chose. Tsarang le suit... Je l’ai vu venir, je l’ai lu dans leur expression... mais quand ils partent j’ai quand-même un petit moment de choc, car comment vais-je faire seule dans un endroit que je ne connais pas avec deux yaks qui ont pris la fuite ? A part l’oncle tous sont au travail. En vitesse, je prends une corde et un bâton et suis les yaks. Je ne leur ai même pas encore mis le licol comme je pensais qu’ils étaient mieux sans pour le transport. Je parle à Naulekh en le suivant et bientôt il me laisse le dépasser et l’arrêter. Je lui mets la corde autour des cornes facilement. Je sens tout le travail qu’on a fait ensemble la semaine dernière. Sans la complicité de cette semaine intense, jamais je n’aurais pu le rattraper aussi facilement. Ce n’est pas très agréable (pour le yak) d’être mené par une corde autour des cornes, mais Naulekh me suit doucement. L’oncle Franz nous rejoint et nous ramenons les yaks vers la ferme. Mais où les mettre pour la nuit? Le parc dans le talus ne leur conviennent pas et tous les autres parcs sont aussi clôturés très bas pour les vaches, les yaks peuvent facilement sauter les clôtures. L’écurie est vide, mais mes yaks qui ne sont jamais à l’intérieur ne vont pas s’y sentir à l’aise. Nous décidons d’essayer l’autre côté de la ferme qui est plus ouvert. Comme les clôtures sont très basses j’attache Naulekh à une longue corde comme nous l’avons fait dans les Muverans. Tsarang ne partira pas tout seul. Je vais chercher mon matelas et sac de couchage et m’installe dans la courette des vaches à quelques mètres des yaks. Je vais rester avec eux - je fais partie du troupeau et suis solidaire. Naulekh vient pour se faire caresser et se couche à quelques mètres de moi. Quelle chance qu’il ait appris à être attaché la nuit et à gérer la corde qui s’emmêle parfois dans ces pieds! Il fait très doux ce soir, cris d’hiboux dans la forêt, une pleine lune qui joue au cache-cache avec les nuages - je suis déjà à plein dans le voyage et profondément heureuse à côté de mes deux yaks.
Au fil des voyages, nous avons eu beaucoup de campements qui ne sont pas forcément aux endroits les plus romantiques. Ils sont là où l’étape est logique, là où il y a de l’herbe et de l’eau, là où on nous autorise de nous arrêter ou là où la fatigue nous force de nous arrêter. Ce soir encore, c’est un de ces camps un peu improbable - que personnellement je trouve assez amusant. Et il me semble que les yaks s’y font aussi. Ils sont couchés à côté de moi en silence.
La rencontre avec la famille de ces paysans de Weesen est une belle histoire : nous les avions rencontrés en 2013 quand, avec Sonja, nous nous sommes rendues à l’OLMA avec quatre yaks à pied. La neige abondante qui était tombée en altitude nous avait forcé de descendre dans la vallée de Glarus. Nous avons traversé Weesen et en remontant de l’autre côté nous avons croisé cette famille de paysan qui était en train de désalper. Le père nous avait donné des indications très précise comment trouver le seul passage possible dans la neige pour traverser la montagne. Sans ces indications nous n’aurions jamais trouvé le chemin! Quelle surprise quand Andreas m’a contacté cet été et m’a dit qu’il avait deux yaks en pension chez cette famille ! Et quel plaisir de les revoir et d’entendre qu’eux aussi n’ont pas oublié l’image de ces deux femmes avec leurs quatre yaks qui traversaient le col par un jour de grande neige.
Le matin Andreas part avec moi et les yaks vers Savognin. Il nous accompagne pour ramener la voiture et la bétaillère après notre départ en montagne et nous la poser à l’arrivée du trek. Nous trouvons une place en dessus de Tinizong, déchargeons les yaks, préparons les bagages, les chargeons sur les yaks et Régina et moi partons avec Naulekh et Tsarang dans la montagne en remerciant Andreas de nous avoir déposé et de nous ramener la voiture. Nous avons marché environ une heure quand je regarde mon téléphone et vois pleins de messages d’Andreas. Mais que ce passe-t-il ? Je l’appelle. Il me dit que la voiture est en panne, il a juste plus la tourner et finit ! Les freins ne fonctionnent plus car il n’y a plus de liquide de freins…Mais comment est-ce possible ? Je viens d’échanger ma vielle jeep contre cette Toyota puissante et relativement neuve, il n’y a même pas trois mois. Cela avait été une grande décision pour moi, mais je m’y étais résolu pour avoir la possibilité de faire des voyages plus grands avec les yaks, pour être plus en sécurité avec la bétaillère sur de long trajets avec une voiture plus puissante, plus neuve, plus performante… Et maintenant cette voiture puissante et récente est en panne… sans freins… et hier j’ai roulé six heures sur l’autoroute… et aujourd’hui sur des petites routes de montagne…avec deux yaks dans la bétaillère… J’aide Andreas à contacter le service de dépannage, mais le garage n’est pas du tout motivé d’aller chercher une voiture avec bétaillère en montagne et finalement Andreas fait appel à un ami mécanicien qui vient le dépanner et prend la voiture au garage pour la réparer. Je suis bien mal à l’aise envers Andreas qui a passé son dimanche avec le dépannage de ma voiture. Nous réalisons que le vendeur n’a pas fait de service, ni contrôlé la voiture avant de me la vendre, sinon il aurait bien vu que les freins étaient très usés… Mauvaise histoire qui me choque pas mal. Je suis peut-être bien naïve, mais j’ai toujours de la peine à croire que des professionnels ne font pas leur travail et essaient de tricher… Si on ne peut plus faire confiance à un professionnel – à qui donc se fier ? Si un professionnel n’a plus la fierté et intégrité de faire un bon travail et rendre service avec son savoir – ou va notre monde ?
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