top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurRosula Blanc

Chroniques d'un hiver exceptionnel

Dernière mise à jour : 12 févr. 2019


9.1.2018 Tempête et congères

Encore et encore de la neige et du vent. Ce matin les fenêtres sont tapissées de neige. Dans la combe il y a juste Kubilai couché dans la tempête, il semble que les autres yaks se sont tous regroupés vers l’écurie. Quand je veux aller les soigner, je dois mettre les raquettes juste pour descendre vers la route et aller vers l’écurie tellement le vent a amassé des congères que je m’enfonce jusqu’à la hanche! Dix ans que je vis ici avec les yaks, mais ça, c’est une première!


15.1.2018 Transformation

Des fois je me pose la question ce que je suis en train de faire ici coupée du monde dans toute cette neige ? Un camp de survie ? Une retraite inespérée ? Une quête spirituelle ? Un renouvellement intellectuel ? Un réalignement intérieur ? Peut-être un peu de tout – une sorte de nymphose hivernale imposée par la nature sans savoir ce qui en sortira comme créature au printemps...


17.1.2018 Volonté

Encore et encore de la neige et du vent, c’est juste incroyable ! Ils ont fermé la route d’Arolla pour la sixième fois cette année - et moi, de toute façon, je suis coupée du monde. J’ai pelé le toit provisoire entre les deux granges qui donne un abri supplémentaire aux yaks, je commençais à craindre que tout s’effonde sous le poids de cette neige… Presque 120cm de neige dur à enlever en équilibre sur les tôles dans la tempête - je m’y suis attaquée avec une sorte de rage de survie et de volonté féroce à mener mon troupeau sain et sauf jusqu'au printemps…  j’ai réussi - les mains gelées et les bras en feu - avec Julong qui me tenait compagnie et me regardait faire d'un air étonné.  Je suis soulagée de savoir les yaks en sécurité. Cet hiver commence à devenir une belle épreuve. On m’a des fois critiquée que j’ai trop de volonté, mais sans cette volonté je n'habiterais pas ici, je ne tiendrais pas dans ces conditions extrêmes et je n’aurais pas pelé ce toit aujourd'hui... Il faut bien avoir un peu de volonté dans la vie! 

Dans la philosophie chinoise des cinq éléments, la volonté est une expression de l’élément de l’eau dont la saison est l’hiver. Mais il y a deux facettes de la volonté: la volonté yang active, qui est la volonté de survivre et qui se traduit en endurance et courage de dépasser les obstacles et ses propres peurs. Pendant que la volonté yin c’est la volonté d’accepter le cours des choses, d’aller avec sa destiné, de s’y adapter. Et c’est bien ces deux facettes de la volonté que je vis ici cet hiver: des moments de courage, de braver la tempête pour m’investir pour mes animaux, comme la volonté d’accepter cette retraite dans la neige loin du monde avec une douceur à ne pas vouloir forcer, à improviser et à décider de jour en jour, tout en observant et s’adaptant à la nature qui m’entoure. 


20.1.2018 Mirage et Réalité

Lundi dernier je suis descendu à Sion pour donner mes cours de QiGong et Taichi. 

Ca m’a fait un vrai choc de descendre et de voir qu’il n’y a pas de neige, que c’est presque vert, que la vie de la civilisation humaine continue normalement dans les magasins, les bureau, les petites villas et les appartements…

Une fois descendue ma vie dans la neige me semblait comme un mirage – tout ce que je vis là-haut - la neige, les tempêtes, la présence des avalanches, le silence, la concentration et l'observation continuelle de la nature - me semblait tellement loin. Comme si je n’existais pas vraiment, comme si tout n’était qu'un rêve.

J’ai du aller m’asseoir et boire un café et respirer doucement pour digérer tout cela.

 

Maintenant je suis de retour dans ce monde en dehors du monde qui n’existe pas dans la conscience générale et qui est, tout de même, tellement réel pour moi et mon troupeau. Ce n’est pas la grande aventure comme on aimerait s’imaginer cette vie vue de la civilisation. Il n’y a rien de spectaculaire sauf de rares moments à braver la tempête.  Les moments d’aventure, les personnes qui partent pour un week-end de peau de phoques en montagne, les vivent beaucoup plus intensément que moi. L’inhabituel c’est que moi, je reste – à travers les tempêtes et le beau temps. Jour après jour le même paysage - pas la même lumière, pas la même ambiance - mais le même paysage. Jours après jour des tâches qui se ressemblent : faire du feu, nourrir le troupeau, peler la neige, cuisiner, étudier, lire, dessiner… et dormir. C’est dans la durée, dans le temps, dans la continuation du silence et de la solitude, de l’observation et de l'adaptation à la nature que l’ailleurs se manifeste. C’est dans la durée que se fait l’apprentissage, que le changement s’inscrit dans le corps et l’âme et que se reconstruit la relation à soi-même.

 

Et n’est-ce pas le temps, la patience, la durée de l’apprentissage ou de l’expérience qui nous manque le plus dans notre monde moderne ?  On est dans le faire – faire pleins de choses, pleins d’expériences - mais on oublie de vivre – vivre profondément. 

Ici, je ne fais pas beaucoup, mais je vis l’hiver - tout simplement…


22.1.2018 Danger 5

Danger avalanche alerte 5 dans tout le canton. Route d'Arolla fermée, la route de la Giette barrée aussi... et de la neige comme j'en ai jamais vu avant.


23.1.2018 Ermitage

C'est toujours danger 4 en montagne et les routes fermées... mais l'ermitage de la Giette se porte bien. J'ai passé une grande partie de la journée à re-dégager le toit arrière de l'écurie.

Depuis le débuts des grandes chutes de neiges j'ai ouvert toutes les portes et passages au yaks qu'ils puissent aussi aller s'abriter dans l'écurie en face de la maison de l'autre côté de la route - si on peut encore parler de "route" ici, car il y a déjà longtemps qu'on ne la voit plus et personne ne peut monter à la Giette depuis presque le début du mois quand ils ont fermé la route en-bas. Donc la "route" appartient au yaks! Cela donne des moments sympas avec les yaks qui passent devant la maison et regardent par la fenêtre.


… ou des yaks qui sont devant la porte quand j’ouvre et qui tendent le cou pour regarder ce qu’il y a à l’intérieur. De temps en temps il y en a même un qui ose faire le pas pour entrer dans la cuisine et visiter mon écurie…


3.2.2018 Aujourd’hui c'est une visite qui me fait particulièrement plaisir: Tsarang! Un des veaux les plus sauvages et les plus imprévisibles ou indépendants que j'ai eu, un animal difficile que je n'aurais jamais pu vendre parce qu'il se serait défendu au moindre faux pas... Mais avec beaucoup de temps, de l'espace, du respect, de la patience et une calme clarté, il devient un yak juste génial! Je n'ai jamais rien forcé avec lui, j'ai attendu qu'il vienne de lui-même - et il était très "tardif" - mais il me rend la patience tellement fort! Et il a un grand équilibre intérieur, une confiance, une curiosité naturelle. 


8.2.2018 Retraite

Il fait un grand froid. Une épaisse couche de glace couvre le bassin des yaks, je dois aller chercher la grande hache pour arriver à la casser. Je remplis l’eau, apporte du foin au troupeau derrière la maison, nettoie l’écurie et brosse Julong qui est déjà en pleine mue. Kubilai en demande aussi. Je monte un moment sur son dos – pour le plaisir, le contact, le jeu et pour lui faire un peu de Shiatsu sur ses épaules et la nuque depuis en haut – un petit moment de complicité et de bonheur partagé.

Finalement, je prends un grand plaisir à cette retraite inattendue, au simple rythme des journées silencieuses et à la vie sauvage, seule dans la montagne hivernale avec mon troupeau. Quelque part cet hiver hors du monde tombe parfaitement juste dans ma vie, à un moment où je me retrouve de toute façon seule –alors quoi de mieux que d’aller plus loin dans la solitude?

Cette retraite me donne l’occasion d’aller revisiter mes valeurs et mes rêves profonds et de réfléchir à ma vie… Une de mes valeurs profondes a toujours été la recherche d'une vie simple, respectueuse, en harmonie avec la nature. Cet hiver, je crois que je m’approche de cet idéal…

L’après-midi je sors un moment étudier au soleil, je pose ma chaise dans le pâturage, Tsarang rumine à côté de moi, son petit frère Diri vient boxer la chaise... Ce n’est pas que je m’ennuie dans ce silence ou que je serai dans le vide – le vide ce sera pour une autre fois - comme tous les hivers j’ai un projet sur lequel travailler et cette hiver avant tout j’ai beaucoup à étudier pour la formation de Shiatsu pour animaux que je suis en train de faire. Pour être reconnu comme thérapeute il faut – en plus des cours de Shiatsu et de médecine chinoise - suivre un cours d’anatomie et pathologie des animaux – et là c’est beaucoup à étudier et à apprendre par coeur…

Le soir les jeunes yaks jouent à la course au tour de la maison…


20.3.2018 Foin

Il fait très froid pour la saison : -10° la nuit, la neige ne font que lentement, il y a toujours un mètre de neige bien tassée, le printemps se fait attendre, et les granges se vident inexorablement… Donc hier j’ai commandé l’hélicoptère pour faire monter du foin ! Cette opération extraordinaire a été plus compliqué que prévu parce que les grandes bottes de foin de 500kg n’avaient pas été chargées correctement pour que l’hélicoptère puisse les prendre facilement. Heureusement il y avait Mary qui était en-bas et faisait de son mieux pour trouver une solution avec les assistants de vol.


J’ai pu financer cette opération avec l’argent gagné la semaine dernière en accompagnant la troupe de tambours japonais Kodo sur leur tournée en Suisse.

Ça fait 20 ans que j’assiste Kodo derrière la scène pendant leurs spectacles en Suisse ! J’ai vu passer des générations de jeunes joueurs, j’ai vu les concerts évoluer, se transformer… A chaque fois c’est presque un peu comme rentrer à la maison de les retrouver, même que les visages changent, la politesse, la perfection, la professionnalisme, l’harmonie du déroulement, la vigueur du jeu et l’immense vitesse avec laquelle la scène est montée et démontée restent. 

Ce que je fais ? Je suis responsable pour le bien-être des musiciens et du staff, je fais les commissions, organise à manger, fais des quantités infinies de « onigiri » (boulettes de riz japonaises), je traduis si nécessaire, j’écoute et assiste la productrice Suisse…. Bref, je suis présente et prête à tout faire et cela semble rassurer tout le monde.

Cette année la tournée en Suisse était très dense, très dure, avec beaucoup de déplacements, souvent encore la nuit après les spectacles et chaque jour un nouveau théâtre… Mais même que c’était la course chaque matin pour réussir à préparer à manger pour tous jusqu’à midi et que faire de la cuisine dans les coulisse d'un théâtre est une chose qui demande beaucoup d’improvisation et de flexibilité, un peu comme la cuisine de camps lors des treks avec les yaks ; et que les journées étaient très longues - malgré tout, intérieurement je me sentais presque comme en vacances dans cette ambiance de travail tellement agréable portée par le groupe – c’était étonnant. 

Le dernier soir après le concert je suis allé boire une bière avec le staff japonais, on s’est retrouvé autour d’une petite table dans un bar bruyant en nous regardant avec de grands yeux et beaucoup de soulagement : nous avons réussi cette semaine intense ! En trinquant avec le stage manger Takeshi –un des rares «anciens» qui voyagent encore avec la troupe (il y a 20 ans Takeshi jouait sur scène comme jeune musicien et c’est moi, l’ex-danseuse butoh revenue du Japon depuis peu, qui était la stage manager côté Suisse) - j’avais presque les larmes aux yeux en pensant à cette année tellement intense qui est derrière moi et où - je me rendais soudainement compte - je n’avais jamais pris le temps d’aller dans un bar boire une bière ! 


Merci à Kodo – et la production Suisse - de m’avoir permis de financer ce transport de foin en travaillant pour eux. Merci à Sandrine et Mary qui ont gardé la ferme et le troupeau en mon absence et m’ont ainsi permis de partir une semaine.


52 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page