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Retraite dans le noir

  • Photo du rédacteur: Rosula Blanc
    Rosula Blanc
  • 10 avr.
  • 6 min de lecture

Pendant notre voyage à travers les montagnes d’Autriche, Pascale m’avait raconté que son maître d’acupuncture avait fait une retraite dans l’obscurité. C’était la première fois que j’ai entendu parler de cette pratique et cela m'avait intrigué tout en me semblant impressionnant et réservé à des êtres avancés. Plus tard, je suis retombée sur un récit d’un séjour dans le noir en écoutant un podcast et j'ai tout de suite pensé que j'aimerais bien tenter cette expérience. Mais cela a pris encore quelques années jusqu’à trouver un lieu en Europe qui propose de telles retraites et un moment de liberté dans ma vie pour pouvoir m’absenter de la ferme.


Avec la fermeture du cabinet 77 ou j’enseignais le TaiChi et le QiGong, j’ai décidé, avant de reprendre les cours dans un nouveau lieu, d’insérer une pause dans ma vie et d’aller enfin faire une retraite dans l’obscurité et le silence - six jours seule dans le noir total. Ramer les sens vers l’intérieur, me retirer du monde extérieur, plonger à l’intérieur, être avec moi sans distraction et sans activités….

J’avais un besoin profond de vide, de repos, de ne rien faire, de me reconnecter à mon coeur et à mes visions. Ces dernières années ont été rudes. Avec la responsabilité pour la ferme, le grand travail physique, les inflammations et douleurs de la Borreliose et les changements dans le corps et l’esprit avec l’arrivée de la ménopause, je me sentais épuisée. Physiquement, mentalement, émotionnellement. Je ne fonctionnais plus qu’avec une rage de survie féroce qui me permettait de continuer, mais qui drainait mes forces encore d’avantage.

Ayant décidée cet hiver d’arrêter à faire les foins, je me posais la question : Qu'est-ce que je veux faire de ma vie ? Qu’est ce qui me passionne vraiment? Ou mettre l’énergie qui me reste? J’étais en recherche de visions, de rêves, de lumière, de sens, de direction…


Quand je suis arrivée dans l’ashram à Sasbachwalden chez Corinna (Bharati avec son nom indien), j’ai été accueilli par ses deux enfants qui m’ont fait la visite de la maison et qui étaient curieux de savoir plus sur les yaks. Ils m’ont amené à ma chambre et j’ai eu le temps de m’installer. C’était une petite chambre comme une chambre d’hôtel, avec WC et douche. J’ai eu un entretien d’introduction avec Corinna, ensuite elle a chanté un mantra et nous avons soufflé la bougie. J’étais arrivée dans le noir!


Je me suis adapté facilement, j'ai dormi, j'ai fait des exercices de yoga ou de QiGong, je suis restée assise, j'ai réfléchi, j'ai médité ou rêvassé. Je me sentais bien et en sécurité dans le noir. J'ai été amusée de constater que mon esprit n'avait aucun mal à s'orienter grâce aux quelques bruits qui parvenaient jusqu'à la chambre, les chants d'oiseaux le matin, des motos qui passaient à toute allure de temps en temps ou les enfants qui dévalait les escaliers dans la journée. Aussi il y avait les Smoothies du matin, midi et soir qui structuraient la journée, même si Corinna s’efforçait de ne pas toujours les déposer à la même heure - mais dans l’obscurité on n’est pas à une heure prêt!


Une de mes premières révélations (que j’ai vérifié encore et encore tellement je ne pouvais pas y croire) était que j’ai constaté lors de mes exercices de yoga quotidiens, que je n'avais plus de douleurs dans les articulations !! Cela faisait plus de trois ans que des douleurs musculaires et articulaires me faisaient souffrir et réduisaient ma qualité de vie. Elles avaient disparu ! Ce que je ressentais n'étaient que des douleurs d'étirement normales, j'avais à nouveau un corps normal ! Je suppose que c'est beaucoup lié à la nourriture végétale (sans sucre, ni gluten, ni café) que j'ai déjà commencé dix jours avant la retraite et la nourriture végétale crue pendant la retraite, ainsi que la réduction de stress.


Il n'est pas facile d'exprimer par des mots les expériences intérieures subtiles que j'ai vécues pendant la retraite dans le noir. J'ai été fascinée lorsque j'ai observé que je pouvais laisser passer mes pensées devant moi comme un train qui passe sans y monter à chaque fois. J'avais souvent entendu cette phrase, mais je ne l'avais jamais vraiment vécue de l’intérieur car je prenais toujours le train de mes pensées.


Aussi de constater que la méditation n’était pas une pratique rigide ici dans le noir, mais qu’elle pouvait continuer n’importe que je sois assise dans une posture formelle ou que je me laisse effondrer sur le lit ou que je sois installée dans le fauteuil, une tasse de thé à la main, était une belle découverte libératrice.

La dominance de l'esprit s'est un peu relâchée. Pas complètement, non, non, mais sensiblement par rapport à la vie quotidienne, de sorte que j'ai pu toucher des couches plus profondes en moi et observer mes schémas de pensées.


des pensées abimées qui se mordent la queue
des pensées abimées qui se mordent la queue

J'ai également rencontré ma peur, non pas la peur du noir ou du silence, mais une peur profondément ancrée en moi, comme gravée dans le corps et les cellules. Une peur qui flambait parfois lorsque je voulais plonger plus profondément en moi, lorsque je voulais sonder mes désirs. La peur me faisait gicler à la surface, comme une balle que l'on essaie de pousser sous l’eau et qui ressort aussitôt.

Lors de notre première conversation avec Corinna, nous avons parlé de traumatismes d’enfance et elle a dit que dans l'obscurité, des images et souvenirs peuvent remonter à la surface et se libérer. Moi, qui avais désiré aller vers le futur, je me disais « Encore? Dois-je encore et encore travailler sur le passé? » Mais, on ne choisit pas dans le noir, on prend ce qui se présente. Je suis donc entrée en dialogue avec ces peurs et d'autres sensations et images qui se présentaient. Des fois ces conversations internes se poursuivaient dans les rêves nocturnes ou étaient élaborés dans les conversations avec Corinna qui venait me voir une fois par jour. C'était un dialogue à plusieurs voies en moi et avec moi.


descendre dans l'obscurité du passée
descendre dans l'obscurité du passée

J’ai eu des scintillements de lumières devant mes yeux.

J’ai pris du temps pour me connecter à mon imaginaire, à mes animaux.


C’était passionnant, c’était bien, mais quelque part je m’attendais que quelque chose de plus spectaculaire arrive. Une remontée d’un ancien traumatisme, une vision du futur, une explosion de lumières, je ne sais même pas ce que j’attendais, mais j’avais (presque inconsciemment) pensé qu’il allait arriver quelque chose. L'avant-dernier jour, j'ai soudainement paniqué. Il me semblait que je n’étais parvenu à rien, ni une vision de mon avenir, ni une résolution de mon passé, ni une expérience mystique… Rien ! Cela m'a fait pleurer. Et une voix négative bien connue en moi me disait "Tu es une ratée ! Tu n'y arrive jamais ! Même pas ici dans l’obscurité ! Tu est vraiment nulle et bornée !»

Après toutes ces heures et ces jours où j'ai dialogué avec moi-même, j'ai également parlé avec cette voix « J’ai échoué dans une retraite dans le noir ? Ok ! Comment peut-on échouer dans l'obscurité ? Echec dans le noir, cela signifie que l'on ne s'est pas assez détendu, car tout ce qu'il y a à faire ici, c'est se détendre ! » Et soudain, j’ai eu le fou rire: et si cette voix en moi qui crie si souvent « échec » voulait en faite juste dire « détends-toi » ?

Oh mais quelle révélation!  Ce fut un moment d’une grande délivrance et hilarité.


Après cette crise, c’est comme si une porte s’était ouverte, je me sentais bien, j’ai eu des rêves intenses et positives et j’ai continué le dialogue intérieur avec moi et des parties oubliés de moi-même.

Retrieving lost parts...
Retrieving lost parts...

Le dernier jour arrivé, je ne me sentais pas vraiment prête pour retourner à la lumière, j’aurais aimé continuer encore un peu, car maintenant je commençais vraiment à me détendre !


Le retour à la lumière était assez brutal et douloureux, j’avais des vertiges et je ne pouvais pas m’imaginer comment j’allais faire pour conduire les 400km pour rejoindre le Valais le lendemain. La nuit je n’arrivais pas à dormir, je paniquais de devoir revenir dans ce monde sans avoir eu une vision pour me guider. Le monde me semblait écrasant. Je ne me sentais pas prête à l’affronter. J’aurais voulu retourner dans l’intimité de ma petite chambre obscure.


Mais rentrée à la maison j’ai eu beaucoup de joie de retrouver mes animaux et la nature dans son réveil printanier. La vie a tout de suite repris avec plein de travail, un contrôle à la ferme, les onglons des yaks à couper, les cours de QiGong et TaiChi à reprendre…

Mais plus que les jours passent, je me rends compte combien j’ai changée, combien je me suis allégée corps et âme dans le noir. J’ai retrouvé de la joie et de l’énergie. Je suis en paix avec moi-même et plus sereine avec les autres. Et depuis que je suis sortie de la retraite, cette voix mentale qui avait l’habitude de m’engeuler à chaque moment ne s'est plus jamais manifestée et toute ma vie intérieure est devenue tellement plus légère et insouciante.

 
 
 

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