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Photo du rédacteurRosula Blanc

Réalité de l’instant

Dernière mise à jour : 17 oct. 2020

« Et si le moment présent avec tout ce qui arrive serait parfait? Serait exactement ce qui doit arriver?» Cette pensée me traverse l’esprit pendant que je patiente dans la salle d’attente du médecin à Steinach am Brenner. La situation n’a tout sauf l’air d’être parfait: mon pied a fait une inflammation d’un jour à l’autre, je n’arrive plus à mettre mes chaussures et me déplace en boitant. Le médecin ne semble pas approuver mon désir de continuer le voyage, il m’a prescrit des antibiotiques et du repos. Mais la météo annonce une dégradation pour la fin de la semaine, si nous voulons franchir la montagne pour rejoindre le Zillertal il faut y aller maintenant. Je reviens pour une deuxième consultation, j’attend, il a du retard. Je sais que Irmgard qui m’attend dehors à hâte de remonter. De la faire attendre me rend mal à l’aise. Toutes ces pensées, soucis et émotions tourbillonnent à l’intérieur de moi pendant que je fais la queue chez le médecin. Je sens mon cœur se crisper, une boule se forme dans le creux de l’estomac. « Et si tout cela serait parfait? Exactement ce qui doit arriver? » Instantanément je sens mon corps et mon cœur se relaxer. Si tout est parfait, je n’aurais pas à me stresser, je n’aurais pas à me faire des soucis - je serait ouverte, curieuse, relaxée et content dans le moment. Je regarde autour de moi, je vois les autres personnes qui attendent, le soleil qui se reflète dans les feuilles de l’arbre devant la porte d’entrée...


Ce moment a été une grande révélation. Je me rends compte combien nous nous créons du stress et nous nous éloignons du moment présent avec nos attentes et nos jugements préconçus comment une situation devrait se dérouler et de ce qui est bien et ce qui est mal...


« Et si le moment présent avec tout ce qui arrive serait parfait? » C’est une question que je me poserait encore souvent pendant ce voyage, c’est peut-être le refrain de ce voyage, mon mantra, mon apprentissage pour regarder le monde avec des yeux différents, pour retrouver la curiosité innocente de l’enfant.


Dès le premier jour, ce voyage ne s’est pas déroulé comme prévu, le premier col déjà était infranchissable pour les yaks et nous avons dû faire demi tour dans la pluie... Dès le premier jour, la montagne nous a appris l’humilité, la patience. Dès le premier jour, nous avons été freiné dans notre désir d’avaler des kilomètres et d’avancer... « S’incliner / surrender » était le mot qui me venait. S’incliner à ce qui est plus grand que nous: la montagne, la météo, la réalité du moment présent. Est-ce important d’avancer sur une ligne ou juste d’être en voyage, d’être avec la montagne et d’être avec les yaks?

Résilience - à été le prochain mot clef. Lâcher les émotions, les idées, les attentes, les jugements. Les laisser traverser mon cœur, mon corps, mon esprit, mais pas les retenir. Revenir à zéro. Rencontrer le moment avec curiosité quoi qu’il arrive. Les yaks m’ont beaucoup appris. La résilience des animaux est incroyable. Ils sont dans le moment présent. Le passé est passé pour eux. Le jour où nous avons traversé le Satteljoch - le col le plus éprouvant et difficile pour les yaks - avant de monter cette dernière pente tellement raide et caillouteuse du col, nous avons fait une pause sur un plat idyllique avec plein d’herbe et un joli ruisseau, mais nous ne voulions pas y monter le camp, nous pensions avancer... et nous sommes montés au col. Montée dure, difficile, technique et dangereuse pour les yaks avec des pierriers, des grandes marches sur des bloques, des mottes de terre qui partaient sous leur pieds. L’avancée était lente et éprouvante et nous avons pleuré de soulagement avec Pascale quand nous sommes arrivés au col sans accident. Mais il fallait encore redescendre - pour trouver de l’eau et de l’herbe pour un campement. Le premier endroit avec de l’eau que nous trouvons à la tombée de la nuit est surbrouté... après tout l’effort que les yaks ont fourni, il y a à peine quelque chose à manger pour eux. Je sens ma gorge se nouer et les larmes me monter aux yeux, tellement je suis mal de ne pouvoir leur offrir que cela. Je dois me battre pour avaler l’émotion. Je les regarde, ils se sont couchés, ils sont tout calme, ils sont au repos, ici et maintenant. Eux, ils ne pensent plus à la belle prairie qui aurait pu être leur pâturage du soir, ils profitent juste de se poser après l’immense effort qu’ils ont fourni. Quelle résilience!


Résilience - j’essaie de prendre les yaks en exemple, de lâcher mes « si...on aurait fait.... si... ce serait... si... si.... ». De lâcher mes résistances à la situation. De revenir à zéro, de revenir à la curiosité et rester ouverte.


« Et si le moment présent avec tout ce qui arrive serait parfait? »


Cette phrase m’aide à revenir dans le moment. A lâcher mes attentes, mes désirs, à faire confiance. Pour le moment tout semble être contre une continuation du voyage: l’état de Tsarang qui ne s’améliore que très lentement, l’attente prolongée de pouvoir lui enlever la cale à cause de l’indisponibilité de Michael, la météo qui annonce encore de la neige pour le week-end et pas de grande amélioration pour la semaine à venir... et ce matin soudainement mon équipe de logistique qui m’annonce de n’être plus disponible pour nous déposer plus à l’est avec la bétaillère pour continuer le trek, un paquet avec du matériel égaré....

« Et si le moment présent avec tout ce qui arrive serait parfait? » Je serais dans un chalet d’alpage à contempler les bourrasques de neige-pluie devant la fenêtre et à apprendre le non-faire, curieuse de ce que le lendemain va nous apporter....



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