Toute la nuit le vent du sud a soufflé autour du chalet. Il a secoué les volets et les vitres, cela clapotait de partout. Le vent chantait dans les arbres, accompagné de la symphonie de l’eau qui ruisselle et glougloute, titille contre les vitres, tamboure sur le toit, accompagné du grognement du torrent dans le fond du vallon.
J’ai apporté un peu de foin à mes deux yaks derrière la maison et je pars sur la route vers le fond du vallon pour voir comment va le troupeau de yaks de Michael. La pluie fouette mon visage et coule le long de ma veste et de mes pantalons goretex. Je observe le torrent à côté de moi qui s’est transformé en fleuve sauvage. J’observe ses vagues, ses tourbillons et les grandes étendues où il inonde le pâturage. L’eau se fraie son chemin à travers les cailloux, les creux, les arbres et arbustes. Je suis fasciné par la puissance sauvage de l’élément qu’on voit tellement rarement chez nous dans le val d’Herens où une grande partie de l’eau est capturé par les installations hydroélectriques. Je me sens bien et libre dans la tempête avec les éléments.
Les quarante cinq yaks de Michael ont pris de la distance de l’eau et broutent plus haut dans la pente entre les arbustes. Avec l’instinct de l’animal sauvage ils doivent sentir le danger des crues, pendant que les quelques vaches de la race Tuxer traînent toujours dans le plat à côté du torrent déchaîné.
Le vent chasse des rideaux de pluie a travers la montagne. Plus que je monte la route se transforme en ruisseau. C’est le moment de faire demi tour et de revenir en arrière, car le fleuve continue à gonfler, il lèche le fond des ponts, il inonde les plats. Le paysage se transforme. En descendant je croise Michael. Dans vingt ans, il n’a jamais vu le torrent aussi grand que cela, dit-il. Il est rassuré de voir que les yaks sont montés dans les pentes, mais il est en souci qu’une poche d’eau se forme avec les troncs ou arbres que le torrent pourrait arracher et que cela cause une grande vague qui mettrait en danger le village en-bas. Nous redescendons jusqu’au portail à l’entrée de l’alpage, puis Michael prend sa voiture et disparaît dans la brume pour aller parler avec les pompiers qui surveillent la situation. Je rentre au chalet d’alpage trempée, mais nourrie de cette rencontre avec les éléments.
Dans la cuisine m’accueille la chaleur du fourneau à bois que Pascale a entretenu pendant mon absence et je ressent ce bien-être profond que procure le doux rayonnement du feu, sa chaleur, sa lueur. J’en suis tellement plus consciente après plus de trois semaines vécues dehors dans la tente. Cet abris simple que nous procure le chalet d’alpage avec la fontaine dehors dans les prés, le fourneau à bois et la lumière des bougies et plus qu’assez. Mon corps et mon âme y trouvent un bonheur profond.
Je continue à observer l’évolution de la crue par la fenêtre du chalet. L’après-midi quand je remonte vers l’alpage, les yaks sont descendu vers le portail, mais toujours en se tenant dans les pentes à bonne distance du torrent. Un peu plus haut une partie de la route a été emporté par les eaux. Hier soir encore, à la tombée de la nuit on a passé ici avec le tracteur de Michael pour apporter du foin au troupeau... aujourd’hui il n’y a plus que les eaux sauvages...
Depuis la grande neige qui a couvert toute la chaîne des alpes autrichiennes, la météo est restée très changeante et instable. De court moments de soleil alternent avec le la pluie abondante, du vent, du froid. Tout le monde nous dit que c’est assez inhabituel pour la saison. Même si Tsarang ne se serait pas blessé nous aurions probablement dû attendre pour pouvoir traverser le col direction Prettau où il y avait 50cm de neige qui tarde à fondre.... donc peut-être cette pause était inévitable. Espérons juste que Tsarang puisse guérir. Vendredi la vétérinaire de Michael est montée et lui a fait une piqûre d’antibiotiques comme son pied montrait pas une grande évolution avec la cale que le vétérinaire de Ginzling lui avait monté.
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